Yves Morieux et Peter Tollman sont directeurs associés au Boston Consulting Group (BCG).
Ils établissent un constat : la complexité inhérente à l’évolution du business a entraîné la complication organisationnelle de l’entreprise.
De 1950 à aujourd’hui :
- Le BCG a calculé que la complexité auxquels faisait face les entreprises a été multipliée par 6. (multiplicité des objectifs liés à l’évolution du business),
- En réponse, la complication organisationnelle des entreprises a été multipliée par 35 (multiplicité des procédures et des structures).
Cette complication organisationnelle repose sur des approches inefficaces (hard et soft factors).
Le travail sur les hard factors (Développement des organisations) se fixe comme objectif de réduire les incertitudes en formalisant précisément les organisations et les processus.
Le travail sur les soft factors (Développement humain) a pour objectif d’agir sur les mentalités directement ou via le leadership pour motiver les personnes.
Partant du postulat suivant : Les comportements sont des solutions rationnelles dans un contexte particulier, les auteurs proposent une orientation radicalement différente.
Il ne s’agit plus de se centrer sur les composantes de l’entreprise et de leur articulation optimale (les structures, les processus d’un côté, des individus caractérisés par des profils de l’autre) mais de s’intéresser aux jeux des acteurs au sein d’un système vivant. L’intention des auteurs est de modifier le contexte du travail pour permettre aux collaborateurs de combiner autonomie et coopération :
- Pour développer leur autonomie, les collaborateurs ont besoin de marges de manœuvre, de pouvoir et de managers intégrateurs…
- Pour accroître la coopération, les collaborateurs ont besoin de boucles courtes pour réguler les ajustements entre eux, d’instituer la réciprocité, de se projeter dans le futur, d’être stimuler par une évaluation reconnaissant et stimulant l’initiative et la collaboration.
L’approche proposée est d’ordre sociologique, elle s’appuie sur la prise en compte du jeu des acteurs dans les organisations. Elle se fonde sur les apports de Michel Crozier mais aussi d’Herbert Simon (Nobel 1978, les processus de décision) et Thomas Schelling (Nobel 2005, la théorie des jeux appliquée aux conflits et à la coopération)
Les auteurs présentent six règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué. Elles sont reprises ci-dessous dans des formulations concises qui ne sauraient remplacer leur lecture exhaustive. Les phrases en italique sont des citations.
- Règle 1 : Observer et comprendre le contexte de travail
Le contexte détermine l’engagement des personnes et celui-ci génère la performance. Trois questions permettent d’appréhender les interactions qui se jouent : Comment les personnes perçoivent les enjeux de l’entreprise et les leurs, quelles sont les ressources dont elles disposent et comment les mobilisent t’elles, quelles sont les contraintes qui les freinent ? En appréhendant de manière systémique le contexte de travail, il est possible de déterminer des leviers de transformation réaliste.
- Règle 2 : Transformer les managers en intégrateur
Le rôle d’intégrateur doit être assuré au plus près des opérations et non pas à travers des fonctions ou des dispositifs de pilotage et de suivi éloignés. Les managers doivent intervenir pour stimuler la coopération à tous les niveaux et non plus s’intéresser aux seuls résultats opérationnels de leur équipe.
- Règle 3 : Créer de nouvelles zones de pouvoir
Au lieu de réduire les zones d’initiatives par crainte des erreurs, il faut au contraire augmenter le périmètre des possibles placé sous la responsabilité et le jugement direct des collaborateurs. Face à la complexité, il est indispensable d’augmenter le pouvoir d’initiative et de décision et de le répartir largement. Qui a besoin de pouvoir pour atteindre les objectifs de l’organisation et comment lui donner ?
- Règle 4 : Instituer la réciprocité
L’interdépendance entre les collaborateurs rend nécessaire la prise d’initiative fondée sur la prise en compte de l’autre et entretient la réciprocité. La définition d’objectifs riches prenant en compte des objectifs collectifs, des objectifs d’input et des objectifs de gestion de recouvrement élargissent la responsabilité de chacun sur les interactions qui fondent la coopération. L’appartenance à des réseaux internes multiplie les liens et interdit la formation des silos et des monopoles.
- Règle 5 : Anticiper ensemble le futur
L’alignement stratégique (hard factor) réduit la contribution de chacun à une conformité formelle et planifiée. La complexité requiert l’agilité. Celle-ci donne aux collaborateurs un rôle accrue dans l’interprétation opérationnelle de la stratégie. Des boucles de feed back permettent d’évaluer périodiquement l’impact de l’action de chacun sur les autres. Les collaborateurs peuvent se mettre dans la peau de l’autre pour améliorer les ajustements nécessaires. La durée des projets doit être compatible avec un engagement des collaborateurs du début jusqu’à la fin. Une gestion anticipée des compétences assure le futur de l’entreprise au-delà de ses besoins présents.
- Règle 6 : Récompenser la coopération
Un des piliers de la coopération est la transparence. L’évaluation ne consiste pas à mesurer un écart par rapport à des objectifs préétablis mais à échanger sur des conditions de réalisation dans lesquelles les uns et les autres concourent. Le manager est avant tout un intégrateur…Les managers n’ont pas à sanctionner l’absence de résultat mais l’absence d’appel à l’aide ou l’absence d’aide. La coopération est une opportunité et un risque partagé. Quel est l’objectif que tu souhaites te donner ? Quels sont les risques que tu entends prendre ? Quels sont les soutiens dont tu souhaites bénéficier ? Ces trois questions refondent la posture managériale.
Dans la conclusion de cet ouvrage, les auteurs proposent un mode opératoire pour implanter ces règles au regard des points faibles et des besoins de coopération de toute organisation.
Les auteurs concluent en souhaitant contribuer à l’avènement d’un management de la réalité (versus management abstrait) fondé sur l’analyse du contexte de travail et la prise en compte du jeu des acteurs.
Smart simplicity : Six règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué
Yves Morieux et Peter Tollman
Editions : Manibota/ Les Belles Lettres Paris 2014